François Grossin, mariste français en Nouvelle-Calédonie, a envoyé cet article récent : For English - see below
2024-08 27. Montée des eaux dans le Pacifique : analyse du géopolitologue du climat François Gemenne
La montée des eaux continue de faire des dégâts à Ouvéa, sur la plus petite des trois îles Loyauté. Elle est particulièrement visible en bord de plage. •
Interrogé sur franceinfo ce mardi 27 août, François Gemenne, géopolitologue du climat - membre du GIEC et professeur à « L'Institut d'Etudes Politiques de Paris », célèbre institution de science politique familièrement appelée « Sciences-Po Paris » - soulève la question de la disparition des territoires du Pacifique et de leur « nécessité de s'adapter » à l'élévation « irréversible » du niveau de la mer. Cette analyse fait suite au SOS mondial lancé par le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres.
Ce mardi, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a lancé un "SOS mondial" sur la montée des eaux dans le Pacifique lors du sommet du Forum des îles du Pacifique, en dévoilant des travaux de recherche y témoignant d'une élévation plus rapide que la moyenne mondiale.
Franceinfo a interviewé ce mardi François Gemenne, géopolitologue du climat, membre du Giec et professeur à HEC, qui livre son analyse.
* Les îles du Pacifique sont donc bien menacées de disparition ?
Certains de leurs territoires sont menacés de disparition parce qu'elles sont confrontées à un double problème. Le premier, c'est que l'élévation du niveau de la mer dans cette zone est plus rapide que la moyenne mondiale et le deuxième, c'est que beaucoup de ces territoires sont des atolls coralliens, donc de très faible élévation, avec pour certains un point culminant à deux ou trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Toute élévation du niveau de la mer menace donc à la fois l'habitat mais aussi l'économie et l'agriculture de ces pays.
La montée des eaux dans le Pacifique est plus importante que la moyenne mondiale parce que le réchauffement de la mer y est plus marqué qu'ailleurs et il y a un phénomène de courants marins. On a tendance à imaginer que la hausse du niveau des mers est uniforme à l'échelle de la planète, or il y a de très grosses différences selon les régions du monde.
* Est-ce que c'est réversible à l'heure actuelle ?
À l'heure actuelle, c'est relativement irréversible. Même si on arrêtait le réchauffement, il y a phénomène d'inertie qui fait que la hausse du niveau de la mer se poursuivrait sans doute encore jusqu'au XXIIe siècle. Ça veut dire qu'il y a vraiment une grande nécessité d'adaptation pour ces territoires avec évidemment une question qui est terrible : jusqu'à quand pourront-ils encore être habités ? Est-ce qu'il va arriver un moment où il ne sera plus possible d'habiter sur certaines de ces îles ? Et donc est-ce qu'il va donc falloir se résoudre à relocaliser la population ?
* Ces territoires s'adaptent déjà au réchauffement climatique ?
Beaucoup de choses sont déjà faites en matière d'adaptation de l'agriculture par exemple, en matière aussi de défense contre la hausse du niveau des mers. La difficulté, c'est qu'on est sur de très petites îles parfois situées au ras de l'eau et habitées par peu d'habitants et donc on va se demander si ça vaut la peine d'investir des moyens d'adaptation pour préserver ces territoires et s'il ne serait pas plus simple de relocaliser une partie de la population.
C'est d'ailleurs ce que certains États de la zone ont commencé à faire. Par exemple, l'Australie a négocié avec Tuvalu l'an dernier un accord qui vise à octroyer des visas climatiques aux habitants de Tuvalu qui se sentiraient menacés par la hausse du niveau des mers et qui voudraient déménager de façon permanente en Australie. C'est un accord qui s'inscrit dans une perspective de coopération géopolitique. L'Australie avait peur que Tuvalu et les autres îles du Pacifique se tournent vers la Chine pour assurer leur protection.
* L'archipel (Tuvalu) est très inquiet pour sa souveraineté après cet accord, avec cette crainte que l'accueil des réfugiés climatiques se fasse au détriment de la souveraineté des États ?
Il y a une question très lourde de souveraineté qui se pose. Est-ce que les îles concernées pourraient conserver leur qualité d'États dans le droit international même si leurs territoires devenaient inhabitables ? Lorsque votre territoire est en train de disparaître peu à peu en raison d'actions d'autres États sur lesquelles vous n'avez quasiment aucune prise, que veut encore dire la souveraineté nationale ? C'est une vraie question qui nous ramène au fond aussi aux liens que nous faisons entre l'État et le territoire.
Il est possible que d'autres États insulaires de la région veuillent négocier le même type d'accord avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore la France qui a également des territoires dans la région, d'autant plus que certains territoires d'Outre-mer français, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, sont exactement dans la même situation et confrontés aux mêmes risques.
The rising waters continue to wreak havoc in Ouvéa, on the smallest of the three Loyalty Islands. It is particularly visible on the beach.
Interviewed on franceinfo on Tuesday 27 August, climate geopolitical scientist - IPCC [International Panel of Climate Change] member and professor at "L'Institut d'Etudes Politiques de Paris", a famous political science institution familiarly called "Sciences-Po Paris" - François Gemenne raises the question of the disappearance of the Pacific territories and their "need to adapt" to the "irreversible" rise in sea levels. This analysis follows the global SOS launched by UN Secretary-General Antonio Guterres.
Last Tuesday, UN Secretary-General Antonio Guterres launched a "global SOS" on rising sea levels in the Pacific at the Pacific Islands Forum summit, unveiling research showing a faster rise than the global average.
On the same day, Franceinfo interviewed François Gemenne, climate geopolitical scientist, member of the IPCC and professor at HEC, who gives his analysis.
* So the Pacific islands are really threatened with extinction?
Some of their territories are threatened with extinction because they are facing a double problem. The first is that sea level rise in this area is faster than the global average, and the second is that many of these territories are coral atolls, so they are very low, with some peaking two or three meters above sea level. Any rise in sea level therefore threatens not only the habitat but also the economy and agriculture of these countries.
The rise in sea levels in the Pacific is greater than the global average because the warming of the sea is more pronounced there than elsewhere and there is a phenomenon of marine currents. We tend to imagine that sea level rise is uniform across the planet, but there are very big differences in different parts of the world.
* Is it reversible at the moment?
At the moment, it is relatively irreversible. Even if we stopped warming, there is a phenomenon of inertia which means that the rise in sea level would probably continue until the twenty-second century. This means that there is really a great need for adaptation for these territories, with obviously a question that is terrible: how long will they still be able to be inhabited? Will there come a time when it will no longer be possible to live on some of these islands? And so will we have to relocate the population?
* Are these territories already adapting to global warming?
A lot has already been done in terms of adapting agriculture, for example, and also in terms of defence against rising sea levels. The difficulty is that we are on very small islands that are sometimes located at water level and inhabited by few inhabitants, and so we will wonder if it is worth investing in means of adaptation to preserve these territories and if it would not be easier to relocate part of the population.
This is what some states in the zone have begun to do. For example, Australia negotiated an agreement with Tuvalu last year to grant climate visas to Tuvaluans who feel threatened by rising sea levels and want to move permanently to Australia. It is an agreement that is part of a geopolitical cooperation perspective. Australia was afraid that Tuvalu and the other Pacific islands would look to China for protection.
* The archipelago (Tuvalu) is very worried about its sovereignty after this agreement, with this fear that the reception of climate refugees will be to the detriment of the sovereignty of states?
There is a very heavy question of sovereignty that arises. Could the islands concerned retain their status as States under international law even if their territories became uninhabitable? When your territory is gradually disappearing due to the actions of other states over which you have almost no control, what does national sovereignty still mean? This is a real question that also brings us back to the links we make between the State and the territory.
It is possible that other island states in the region will want to negotiate the same type of agreement with Australia, New Zealand or France, which also has territories in the region, especially since some French overseas territories, in New Caledonia or Polynesia, are in exactly the same situation and face the same risks.